Walkshop à Bujumbura: ce qu’il a révélé sur nous-mêmes

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  • Comme à Paris-Roubaix, le secteur pavé...

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  • Comme au Tour de France, des côtes hors catégorie !

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Après le succès du premier Global Citizen Walkshop qui avait été organisé à Profondeville (Belgique) en Octobre 2018, nous avons décidé de remettre le couvert le 25 janvier 2019.  En collaboration avec l’Institut National de Santé Publique (INSP) du Burundi, nous avons organisé le premier walkshop en Afrique… à Bujumbura plus précisément.

Par Léonard Ntakarutimana (1), Manassé Nimpagaritse (2), Olivier Basenya (3) et Bruno Meessen (4)

Dans ce billet de blog, nous nous essayons à produire un petit travail réflexif sur le walkshop comme dispositif d’intelligence collective. Outre ses résultats directs sur les thèmes débattus, l’expérience de Bujumbura confirme en effet que la technique du walkshop a un beau potentiel. Ce texte repose sur notre expérience d’organisateurs et de marcheurs. Il pourrait donc ne pas refléter le point de vue de tous les participants ni celui de l’INSP.

 Un walkshop, c’est d’abord des organisateurs dans un contexte donné

L’idée d’organiser un walkshop à Bujumbura a émergé des discussions entre nous quatre, dans la foulée, pourrait-on dire, de l’activité de Profondeville (à laquelle nous avions tous participé).

Nous nous connaissons depuis de nombreuses années. Par nos activités, une certaine complicité s’est installée. Nous savions aussi que nous pouvions couvrir les trois thèmes mis en discussion. Léonard Ntakarutimana est parasitologue et connaît bien les enjeux autour de la malaria au Burundi. Olivier est Médecin avec une formation en économie de la santé. Il travaille au sein de la Cellule Technique Nationale de Financement Basé sur la Performance (CT-FBP) et en connaît un bout sur cette politique. Manassé est doctorant en santé Publique à l’Université Catholique de Louvain, avec une attention particulière à la malnutrition infantile, qui est, avec la malaria, un des grands défis sanitaires du Burundi. Nous étions heureux d’organiser notre premier walkshop à la maison avec Bruno. Il connaît bien le système de santé de notre pays. Par ailleurs, Bruno était le concepteur du walkshop de Profondeville. L’avoir dans l’équipe, c’était la garantie de pouvoir profiter de son expérience et de ses idées.

L’expérience de Profondeville avait montré que pour chaque thème, il est important d’avoir un facilitateur bien au fait du sujet. Nous avons donc décidé de retenir les thèmes que nous maitrisions : malaria, politique de financement de la santé et malnutrition. Nous savions que ces thèmes interpelleraient un grand nombre de nos collègues et amis burundais. Nous voulions lier ces thèmes, nous avons donc choisi la thématique générale de La santé des enfants du Burundi. Avec ce thème, nous voulions toucher les marcheurs non seulement en tant qu’experts, mais aussi comme pères et mères, toujours soucieux du meilleur pour leurs propres enfants. 

Briefing du facilitateur “nutrition”
Briefing du facilitateur “nutrition”

Le Burundi n’est pas la Belgique. Compte tenu de la persistance de préoccupations d’ordre sécuritaire, il nous est apparu important qu’un tel événement soit organisé par une institution publique. C’est ainsi que l’INSP a été identifié non seulement parce qu’il est concerné par la thématique générale de la santé des enfants en tant qu’institution de santé publique, mais aussi parce que deux des initiateurs du projet de deuxième walkshop travaillent au sein de cette institution. Nous profitons de l’occasion pour remercier le Directeur général de l’INSP pour avoir accepté de co-organiser cet événement et de participer individuellement au walkshop.

Enfin, un walkshop se fait un jour particulier. Notre choix s’était porté sur un vendredi: au Burundi, c’est en effet reconnu comme le jour de l’activité physique pour le personnel dans plusieurs administrations y compris celles relevant du Ministère de la Santé Publique et de la Lutte contre le SIDA.

 C’est ensuite des participants 

Comme pour le walkshop de Profondeville, nous avons recouru à la plateforme Collectivity pour organiser le recrutement des participants. Nous avons pu observer que certains candidats ont un peu peiné avec cette plateforme, mais nous restons convaincus que le gain à long terme pour eux est réel. Depuis, plusieurs se sont d’ailleurs dépêchés de rejoindre des communautés en ligne sur la plateforme.

Grâce à Collectivity, nous avons pu attirer une diversité de profils. En plus des enseignants, chercheurs et cadre de laboratoire de l’INSP, le walkshop de Bujumbura a en effet vu la participation des enseignants de l’Université du Burundi, des cadres en provenance d’institutions Partenaires Techniques et Financiers (PTF), des cadres de programmes de santé, des membres de la CT-FBP et des étudiants. En plus de ces différents participants en provenance de la capitale Bujumbura, des membres d’équipes d’évaluateurs de Comité Provincial de Vérification et de Validation (CPVV) du FBP qui appuient la mise en œuvre de cette approche de financement dans les provinces sanitaires de Bubanza, Bururi et Mwaro ont également participé au walkshop. Cette diversité de profils et d’origines des participants a été très favorable à la richesse des idées recueillies lors des échanges qui ont eu lieu durant la marche.

Un de nos objectifs était d’atteindre un équilibre hommes-femmes. Ce fut un échec: seules 5 femmes ont participé au walkshop sur un total de 36, soit 13,9%. Ceci nous rappelle à nouveau combien le genre est un grand défi dans notre pays… et combien c’est problématique: comment parler de la santé des enfants sans leurs mamans ? Bon, ceci ne veut pas dire que nos délibérations n’ont pas été de qualité, mais ce sera clairement un défi à relever pour notre prochaine marche au Burundi.

Un autre regret était l’absence de marcheurs en provenance du Programme National Intégré pour l’Alimentation et la Nutrition (PRONIANUT). Dommage, ils auraient certainement expliqué les défis qu’ils rencontrent au quotidien… et auraient aussi pu entendre combien la malnutrition interpelle la population du pays (la malnutrition a rassemblé le plus grand nombre de marcheurs, et les jeunes en particulier).

C’est une interaction avec un environnement physique vivant

Nous avons marché d’abord dans la ville (en évitant toutefois les axes routiers à circulation intense, par mesure de sécurité); nous avons fait des rencontres, avons dû nous abriter de la pluie sous différents types de constructions que nous trouvions proches selon l’endroit où nous nous trouvions en sous-groupes: sous un préau d’école où les élèves attendaient la fin de la pluie pour rentrer à la maison, dans une église en construction inachevée et sans portes ni fenêtres; à une station de pompe à essence, sur une barza d’une maison appartenant à un particulier, etc. Chaque fois, c’était l’occasion de prendre contact avec l’expérience quotidienne des piétons… une expérience que plusieurs d’entre nous perdons un peu avec l’usage de l’auto

Cette trajectoire urbaine a duré environ quarante minutes. Ensuite, nous sommes rentrés rapidement dans un territoire plus rural avec environ une heure de marche sur des sentiers glissants. Nous avons grimpé, souffert. En chemin nous avons rejoint des dames âgées, chargées qui rentraient du marché. L’ironie était que pour gravir les collines elles semblaient plus à l’aise que nous, les ‘citadins’. Nous avons découvert la vie de ces personnes, moins avantageuse que la nôtre: petites maisons en brique adobe exposées à l’érosion et/ou au glissement de terrain, habits déchirés et peu propres, déplacement à pieds nus, topographie du paysage constituée d’une succession de petites montagnes très escarpées, pauvreté poussant de petits enfants à quémander de l’argent ou de la nourriture.

Léonard et les enfants de Sororezo
Léonard et les enfants de Sororezo

Tout cela conduit à des ‘collisions’ inattendues qui interpellent

Le walkshop a été l’occasion de confronter les marcheurs habitués à un mode de vie urbain (déplacement en voiture, sédentarité, alimentation très calorique) à des habitants habitués à un mode de vie plutôt rural et frugal. Ils étaient nettement plus à l’aise à marcher sur les collines, moins corpulents et plus détendus. Pourtant leur environnement se situe seulement à environ sept kilomètres du centre de la ville de Bujumbura située dans la plaine bordant le lac Tanganyika. Les nombreux enfants affamés qui ont fait grand accueil aux restes de notre pique-nique organisé au sommet de la montagne à Sororezo nous ont rappelé notre thématique générale de la malnutrition des enfants. Au final, nous avons compris que c’étaient nos propres modes de vie qui étaient aussi en question avec ce walkshop. Il est évident que si nous avions organisé nos discussions sur la malnutrition assis dans une salle d’un hôtel, nous n’aurions pas reçu ce coup de poing donné par la réalité. Au sommet à Sororezo, nous avons compris une des grandes forces de la méthodologie du walkshop: l’environnement, le milieu social sont de pleins participants à votre atelier.

Conclusion

En fin de journée, nous sommes ressortis confortés dans la conviction que le walkshop est une méthodologie avec un bel avenir – c’est aussi ce que tous les participants nous ont dit le soir en nous quittant. Les avantages sont nombreux: des échanges sur des sujets préalablement identifiés, un dialogue riche avec des personnes que l’on ne connaissait pas, l’occasion d’une activité physique qui nous ouvre les yeux sur notre forme respective et bien sûr l’occasion de créer du lien et d’étoffer son propre réseau. Mais fondamentalement, dans un contexte comme celui de Bujumbura, la formule assure au marcheur de se retrouver confronté aux réalités vécues au quotidien par une grande partie de la population: la pluie qui interrompt le trajet et le rend glissant, le défi de la subsistance et de la couverture de besoins élémentaires, mais aussi les beaux paysages depuis le haut des collines et l’accueil chaleureux de nos enfants.

Certains aspects restent bien sûr perfectibles au niveau organisationnel. Nous avons mentionné plus haut le défi de l’équilibre de genre. Nous espérons déjà que l’équipe qui organisera le prochain workshop sera paritaire: ce sera peut-être déjà une partie de la solution. Le fait que certains participants au walkshop aient rapporté avoir éprouvé de la peine dans le passage à fort dénivelé (ce qui n’est bien sûr pas propice à la discussion) nous a rappelé aussi que nous devons réfléchir à organiser nos parcours pour qu’ils soient accessibles à tous. À l’avenir, on pourrait envisager des parcours différents en fonction des aptitudes personnelles des participants: par exemple, un parcours long pour les participants habitués à la marche et un parcours court et plat pour les autres (y compris les personnes à mobilité réduite). Ce serait en effet dommage que la topographie devienne un facteur d’exclusion.

En dépit de ces difficultés rencontrées, le deuxième Global Citizen Walkshop a été une réussite. Nous reviendrons prochainement dans un blog différent sur les thèmes traités et les principales conclusions auxquelles les différents groupes ont abouti. En terminant, nous remercions tous les acteurs qui se sont impliqués dans l’organisation de cette activité: L’Institut National de Santé Publique du Burundi à travers son Directeur général, l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers (et la Direction Générale au Développement de la Belgique), les gestionnaires du restaurant de l’INSP et son personnel pour avoir facilité la logistique ainsi que tous les participants qui ont consacré de leur temps précieux afin de répondre à notre invitation. 


(1) Chercheur enseignant à l’Institut National de Santé Publique (INSP), Bujumbura (Burundi)
(2) Enseignant à l’Institut National de Santé Publique (INSP), Bujumbura (Burundi)
(3) 
Membre de la Cellule Technique Nationale de Financement Basé sur la Performance, Ministère de la Santé Publique et de la Lutte contre le SIDA, Bujumbura (Burundi)
(4) Professeur à l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers, Anvers (Belgique) au moment de la réalisation de ce walkshop. Il a quitté cette institution le 31 janvier 2019.


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