Définir les priorités de santé: un appel à l’action en Afrique Francophone

Les sociétés d’Afrique Francophone évoluent, la détermination des priorités en santé devient plus complexe. Le temps est venu de nous pencher sur l’enjeu de l’évaluation des technologies de la santé. En partenariat avec iDSI, nous lançons un appel à tous. Intéressé(e)? Rejoignez-nous.

Par Y-Ling Chi, Bruno Meessen, Isidore Sieleunou et Françoise Cluzeau

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Le Paquet Minimum d’Activités (PMA), nous connaissons tous ce concept ! En déterminant ce que tout centre de santé de première ligne doit offrir à une population de référence, il est un mécanisme central de l’allocation des ressources dans les systèmes de santé. Il n’est pas le seul mécanisme. Pensons par exemple au Paquet Complémentaire d’Activités (PCA), à la liste des vaccins des Programmes Élargis de Vaccination (PEV) et à la liste des médicaments essentiels. Nous sommes là au cœur de la détermination des priorités dans l’action sanitaire.

Ces dernières décennies, tout engagés dans la lutte contre les maladies transmissibles, les ministères de la santé africains n’ont pas toujours fait fort évoluer leurs paquets d’activités. Les ‘mises à jour’ sont souvent venues des programmes, avec le renouvellement des thérapies contre le VIH/SIDA, la tuberculose ou la malaria (notamment) sur base des recommandations et des financements des partenaires internationaux.

Mais l’Afrique a enclenché plusieurs transitions. L’espérance de vie a progressé ; on vit plus longtemps. Les modes de vie changent. Les maladies non-transmissibles créent de nouveaux besoins. Une classe moyenne émerge dans les villes. Elle a de nouvelles attentes et comportements en termes de soins de santé. D’ailleurs, le secteur privé s’est développé et le choix thérapeutique, dans les cliniques privées, auprès des spécialistes et en officine, s’est depuis longtemps élargi. Dans un nombre grandissant de pays, la classe moyenne  bénéficie d’une assurance-maladie dépassant les paquets d’activité historiques. Ces ‘nouveaux’ soins curatifs sont financés sur ressources nationales, souvent sans direction claire – peut-être parce qu’il n’y a pas d’agence internationale qui allouant les fonds tient également à déterminer les thérapies prioritaires.

Pour chaque pays, sans exception, tout cela donne une place nouvelle à la question centrale de la priorisation des ressources de santé. Parallèlement, la mise en place de la Couverture Sanitaire Universelle requiert que chaque pays définisse les besoins sanitaires qui seront assurés pour tous. Cela pose la question fondamentale de la capacité des ministères de la santé (et des organismes assureurs) à déterminer le paquet essentiel de soins.

Evaluation des Technologies de la Santé

Cette question fondamentale est universelle ; chaque ministère de la santé (ou organisme en charge de déterminer une couverture de santé) doit être capable d’y répondre. Votre ministère de la santé est-il prêt ? Probablement que non. La capacité à prioriser les ressources publiques est un énorme défi. Sans guidance de qualité, il est facile de se tromper.

Par exemple, en Colombie, le médicament Avastin utilisé dans le traitement du cancer du sein est financé par les fonds publics, alors que la couverture vaccinale complète n’atteint que 68%. De façon intéressante, on notera que l’Avastin n’est pas inclus dans le paquet de soins dans un nombre de pays à haut revenu, comme en Angleterre, en raison de son coût élevé et son faible impact clinique.

Un concept de base pour fixer les priorités est celui du coût d’opportunité : les fonds alloués à un programme, un service de santé ou à un médicament ne peuvent être utilisés qu’une seule fois. L’argent utilisé pour le remboursement de l’Avastin en Colombie n’est pas disponible pour acheter des vaccins. Par ailleurs dans de nombreux pays, le secteur tertiaire, glouton, accapare les ressources budgétaires au détriment des soins de santé primaire.

Pour fixer les priorités, l’évaluation des technologies de la santé (ETS, en anglais, Health Technology Assessment) doit devenir une des capacités opérationnelles à la disposition des décideurs de santé à travers le monde. Ces derniers doivent pouvoir s’appuyer sur une évaluation plus systématique des propriétés, des effets et/ou des impacts des technologies de la santé – les nouvelles, qu’il faut peut-être ajouter au paquet essentiel ; les anciennes, qu’il faut peut-être retirer parce qu’elles sont désormais dominées par des solutions plus efficaces ou coût-efficace. Des capacités systémiques et procédures doivent être mises en place. C’est la seule façon de contrer les autres forces (lobbys, firmes pharamaceutiques, etc) pesant sur la fixation des priorités.

Une priorité aussi en Afrique Francophone

Ces dernières années, un nombre grandissant de pays se sont engagés à consolider et structurer ces capacités.  Ils suivent ainsi notamment la Résolution WHA67.23 de l’Assemblée Mondiale de la Santé .  Le chemin sera encore long, mais sous le leadership de l’OMS notamment, la communauté internationale est en train de s’organiser. Certains pays, nous pensons notamment à la Thaïlande, prouvent qu’il est possible d’agir, même sans être un pays riche.

Cet agenda crucial pour la CSU reçoit encore très peu d’attention dans les pays d’ Afrique Francophone, y compris ceux à revenu intermédiaire. Ce n’est pas seulement une question de développement : peut-être à cause du faible nombre de documents en français et d’un déficit d’animation, il y a un manque de conscience que des actions sont possibles, à tous les niveaux. Etant donné que nous sommes encore au stade de la mise à l’agenda, la première étape sera de réunir les forces vives (nous pensons notamment aux académiques et centaines d’experts africains qui ont été formés en épidémiologie et évaluation économique) et de construire une large alliance.

Du côté des Communautés de Pratique, de Collectivity et de l’International Decision Support Initiative (iDSI), nous aimerions contribuer à l’accélération de cet agenda.

Certains d’entre vous ne connaissent peut-être pas l’iDSI, un acteur leader en ETS au niveau international. Les équipes de l’iDSI travaillent étroitement avec plusieurs pays en Asie et en Afrique pour intégrer l’évaluation des technologies de santé dans le processus décisionnel.  Au Ghana, l’iDSI est partenaire du Ministère de la Santé pour une évaluation des médicaments visant à prévenir et réduire l’hypertension. Au Kenya, les équipes de l’iDSI travaillent avec le programme de lutte contre le VIH pour mieux comprendre les implications budgétaires et l’impact d’une intervention visant à soutenir les médecins dans leur pratique clinique. Ces activités sont une première étape. Elles visent à montrer la pertinence des données probantes pour la décision, à former des analystes sur le terrain, établir une première masse critique de capacités nationales pour rendre les pays plus autonomes dans la fixation de leurs priorités.

Aujourd’hui, en Afrique, la plupart ds travaux et programmes en évaluation économique sont réalisés  dans des pays anglophones et publiés en anglais. Il y a peu d’études coût-efficacité produites en Afrique Francophone. Si certaines politiques ont attiré l’attention (on pense par exemple aux études d’impact sur le financement basé sur la performance), il n’y a pas de capacités établies pour une approche plus systématique pour la détermination des paquets de soins. Cet handicap devient une vraie contrainte pour les pays accélérant leur progression vers la CSU.

Face à ce constat, la meilleure attitude est probablement de démontrer que les acteurs de la santé en Afrique Francophone sont aussi demandeurs d’une action forte. Ce chantier est majeur, par son importance, sa taille et sa durée. Il dépassera les forces d’un seul pays, les capacités d’une seule agence. 

Du côté des communautés de pratique et d’iDSI, nous avons discuté de ce qui était possible à notre (petit) niveau. Nous avons convenu que notre première responsabilité était de produire cet appel et de vous interpeler. Si ensemble, nous parvenons à générer l’embryon d’une première coalition transnationale, nous pourrons aller de l’avant. Pas à pas, sur base de notre enthousiasme commun, nous pourrons peut-être enclencher un mouvement plus large, initier un programme d’apprentissage. Si parmi vous, certains veulent développer du leadership et prendre le destin régional de cet agenda en main, nous les soutiendrons du mieux que nous pouvons.

Intéressé(e)?

Si vous partagez notre analyse, nous vous invitons à compléter un petit formulaire en cliquant sur le bouton ci-dessous. Signalez votre intérêt, partagez vos expériences, identifiez vos priorités, avancez des pistes d’action. Veillez  à nous communiquer votre email (un profil sur Collectivity, c’est encore mieux), cela nous permettra de vous recontacter. Si quelque chose décolle, nous serons rapidement à la recherche d’experts régionaux prêts à s’engager.

Nous espérons que vos commentaires permettront de construire un programme innovant basé sur les priorités de santé spécifiques aux besoins des pays d’Afrique Francophone.

Pour notre part, après cet appel, nous nous engageons à organiser un webinaire pour faire le point sur vos suggestions et proposer quelques premières pistes d’action. Au-delà, beaucoup dépendra de vous.

Nous sommes à votre écoute !

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One comment

  1. I thank you for the relevance of your analysis that I share. Francophone African countries need to stand up and work in the same way as those in English-speaking countries. In the health sector, very few economic evaluations are carried out despite numerous investments and reforms, existing and ongoing. In addition, few publications are available. It is important to get together and take healthy development actions.

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